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Ils frappent le regard par leur blancheur éclatante. Ici et là, dans les campagnes tunisiennes, apparaissent des petites constructions cubiques coiffé d’une coupole.

Ce sont des marabouts, tombeaux de personnages considérés comme pieux et sages, parfois des guérisseurs, ayant souvent mené une vie recluse et ascétique. Le marabout désigne à la fois le tombeau et le personnage devenu saint, auquel on attribue de multiples pouvoirs après sa mort.

Ils font partie de la vie du village et on leur rend visite pour des cérémonies religieuses, pour une demande, pour une bénédiction. On leur apporte des aliments, des sacrifices, on les restaure, on les embellie. Lieux de culte populaire de l’Islam, ils font partie intégrante des traditions du Maghreb et ont jalonné l’histoire de la Tunisie.

 

Je passe la plume à Marie qui vit près de Douz avec son mari tunisien. Elle vous raconte une journée au marabout…

marabout sahara douz

Le désert est parsemé des ces « marabouts » – © Marie

 

Au mois de mai, la famille décide d’aller faire une journée au marabout.

C’était une première pour moi.

Même après cette journée, il reste bien des mystères à éclaircir pour moi…

Un jour je saurai peut-être tout sur les marabouts, leurs origines, les rites, les croyances qui leur sont attachés…

Mais pour l’heure, je me contente de vivre cette journée telle qu’elle se présente.

Au petit matin on charge l’antique pickup peugeot 504 : bidons d’eau, gamelles, plastiques, nattes, légumes et épices, sans oublier l’indispensable théière avec thé et sucre en quantité, réserve de « 27 » (c’est pas une nouvelle bière, cherchez pas, c’est un mélange en principe de 27 aromates en tous genres, qui est mis sur les braises et dégage une fumée très odorante, censée purifier, assainir les lieux et les personnes ), toute la famille, la chienne et….hélas…une belle petite chèvre dont je prévois le sort….

Et hop ! c’est parti pour un petit voyage au désert. Je connais l’emplacement de ce marabout à une dizaine de km du village, pour l’avoir vu de loin et avoir tenté une approche avec ma charrette et mon âne il y a quelques années mais sans pouvoir y parvenir pour cause d’ensablement… je me demande donc quel chemin on va prendre pour y arriver. On suit d’abord une piste, puis un semblant de piste et puis plus rien. Au bout de peu de temps il faut bien se résoudre à stopper, notre véhicule n’ayant rien, mais vraiment rien d’un 4×4 . et pas de marabout en vue !

Tout le monde descend et en grimpant sur la plus grande dune, on aperçoit au loin le toit du marabout. Il faudra y aller à pied. Papa est déjà parti avec son « 27 », son couteau, suivi docilement par sa chèvre qui ne connait que lui et lui fait entière confiance… cette vision remue un peu les tripes de l’européenne … certains le suivent rapidement, maman installe le campement là où nous nous sommes arrêtés. Je ne suis pas pressée d’aller au marabout, sachant ce qui va s’y passer ; aussi, je m’attèle à la corvée de bois. Au désert, à chaque pause, le premier réflexe est de chercher du bois, au minimum pour faire le thé ou pour cuire les repas et le pain si c’est un bivouac. Je suis donc bien rodée à cet exercice. Maman pétrit la pâte pour faire la galette du désert dans le sable et j’en conclus que ce ne sera pas un couscous mais une « sauce » au menu.

Après un temps qui me parait suffisant pour que le sacrifice soit terminé, je me mets en chemin sous un soleil de plomb pour aller voir de plus près ce marabout. Les dunes sont superbes, bien marquées, d’une douce blondeur, sans végétation, là où on se croit seul dans un autre monde mais j’y croiserai quand même un berger et ses bêtes.

Arrivée au marabout je trouve tout le monde affairé à dépecer la chèvre. Sur les branches des énormes tamaris, pendent plusieurs dizaines de peaux de chèvres témoignant des nombreux sacrifices qui ont lieu ici. Le marabout est éblouissant de blancheur, j’apprends qu’il vient d‘être repeint car les extrémistes islamistes ont saccagé tous ces sanctuaires pour rappeler aux gens qu’il n’y a que Dieu …mais c’est sans compter sur la complexité des sociétés, des religions qui ont été mâtinées par, ou ont conservé depuis toujours, des influences diverses et variées loin des idées des puristes.

Les marabouts désignent ici, à la fois les personnes qui ont eu des « pouvoirs » de leur vivant et sont donc vénérés de génération en génération par certaines familles, et leur tombeau. Le mausolée est entretenu en général par les descendants de ces marabouts mais les familles qui les vénèrent participent à cet entretien. Pour moi, ces lieux sont toujours entourés d’une atmosphère particulière et provoquent en moi une vraie émotion.

Quand le dépeçage est terminé, tout le monde entre dans le mausolée pour une prière.

marabout sahara douz

Près de ce marabout une surprise m’attend et me remplit d’émotion.

 

Le jeu du vent dans les dunes a mis à nu la tombe de la maman de maman. Depuis plus de 30 ans cette tombe était perdue sous les dunes et seulement papa l’avait déjà vue. Cette femme est morte il y a environ 45 ans en laissant 5 petits enfants dont la plus âgée, maman, avait 12 ans. Quelques mois plus tard le papa est décédé aussi laissant les 5 orphelins aux « bons » soins de la famille…

Courte prière devant cette tombe que maman ne verra pas puisqu’elle est restée au campement. Pour tout dire je suis la plus émue de tous, leur relation au passé et à la mort étant radicalement différente de la mienne.

Un homme que je ne connais pas était arrivé avant et prend part à tout d’une façon très naturelle. C’est un descendant du marabout qui passait par là et il se trouve automatiquement participant-invité et il finira la journée avec nous. On emballe la dépouille de la chèvre, ses entrailles…dans des sacs en plastiques et on reprend le chemin du campement dans une grande joie collective. Eh, oui, il y aura plein de viande à manger et c’est la fête.

De retour près de maman, les femmes s’affairent à préparer le repas qui sera composé de « méchoui », d’une « sauce » à la chèvre et de la superbe galette qui cuit encore sous le sable.

Le méchoui consiste à faire griller à même les braises pratiquement, le foie, le cœur et quelques morceaux de viande taillés au hasard.

La sauce est un ragoût de viande et de légumes variés, bien épicé et assez réduit, qui sera versée dans deux grands plats, un pour les hommes, un pour les femmes. Assis autour des plats, on mange cette sauce en trempant le pain (ou dans ce cas la galette) dedans et on pince entre le pouce et le pain trempé le morceau de viande ou de légume qui se présente. La viande est partagée par maman qui la débite en petits morceaux avec ses doigts et la distribue devant chaque personne selon son appréciation des besoins de chacun.

Mon rôle consiste à découper la bête. Ayant un jour fait part de ma « qualité » de sœur de boucher, ils veulent voir ce que j’ai de plus qu’eux !!! Et bien je peux dire que c‘était aussi une première pour moi : découper de la viande encore chaude n’a rien à voir avec couper une viande froide et « rassie ». C’est un peu comme si la bête était encore un peu vivante et malgré mes couteaux bien aiguisés la viande roule sous la lame, une vraie misère…

Le résultat leur convient quand même et tout le monde se régale du méchoui et bientôt de nombreux bons morceaux mijotent dans la gamelle de sauce. Il n’y a plus qu’à attendre qu’elle cuise, ce que nous faisons en grignotant des graines de tournesol, de courge et des amandes. J’écoute, bercée, les conversations joyeuses que je ne comprends pas, ne saisissant que quelques mots qui me révèlent les sujets évoqués.

Quelques heures plus tard, après s’être régalé de la sauce, avoir siroté quelques verres de thé, on recharge tout pour le voyage de retour qui se transforme en véritable galère, car pendant près d’un kilomètre nous devons désensabler la lourde voiture une bonne quinzaine de fois (sans outils adaptés) avant d’accéder à un terrain plus porteur lui permettant de prendre un peu de vitesse pour passer les endroits sensibles. Mais à aucun moment il y a énervement, cris ou reproches ! C’est une galère à la bédouine : dans la bonne humeur !!

Serait-ce l’effet « marabout » ?!….

 

Récit de la vie quotidienne de Marie, une autre Française amoureuse du désert et mariée à un Tunisien de la région de Douz.

Texte et photos © Marie

Merci Marie 🙂

 

marabout zaouia tunisie

 

Feuilleter le « Saisons Tunisiennes » spécial Marabouts & Zaouias pour en savoir plus :

Saisons Tunisiennes

 

 

Le désert proche de Douz et des villages sahariens est jalonné de nombreux marabouts encore bien « vivants ». Lors des méharées dans ce Sahara de sable blanc, on s’y arrête souvent, on les visite parfois avec tout le respect qu’il se doit. Moments intimes de recueillement et de partage, quelles que soient les croyances de chacun…